
Maîtres Anciens aux Déchargeurs : François Clavier donne corps à Reger, musicologue vitupérant qui dézingue tous azimut. Du grand talent, pour le spectateur qui sait ne pas bouder son plaisir
Sur la scène, un homme est assis sur une banquette, qui lit….N’ayant pris rendez-vous avec Reger qu’à 11h30, je m’y trouvais déjà à 10h30… Atzbacher a le regard fermé qu’adoptent les gardiens de musée pour impressionner le visiteur.
L’homme assis, c’est Reger. Tous les deux jours, il vient s’asseoir dans la salle Bordone du Musée d’Art Ancien de Vienne, il regarde L’Homme à la Barbe Blanche du Tintoret, plus tard il ira finir l’après midi à l’hôtel Ambassador. Sur sa banquette, il lit, il pense, s’il a soif, Atzbacher, le gardien, lui apportera un verre d’eau fraîche. Aujourd’hui, il lui a donné rendez-vous, en l’attendant, il vitupère. L’Autriche, ses provinces, sa politique, les musiciens, les peintres, les Habsbourg, les philosophes… tout y passe. Pour lui, il n’y a rien de parfait, dans un tableau, il cherche les défauts. Ce qui le rend heureux ? trouver le défaut rédhibitoire dans un chef d’œuvre, il en a fait son métier, il est musicologue, il écrit jusque dans le Times. Entre ses vitupérations, il dévoile la raison de ce rendez-vous particulier : c’est devant ce tableau qu’il a connu sa femme, elle est morte, seul son rite quotidien le garde en vie.
Sans se lever, François Clavier sculpte Reger, le critique social vitupérant comme un pilier de bistrot éduqué, l’homme perdu sans sa femme bascule subitement dans une profonde. Il sert les mots ciselés de Thomas Bernhard pour le plaisir du spectateur, des mots qui assassinent le lecteur (celui qui lit tout n’a rien compris), les Habsbourg et leur goût catholique douteux, l’Autriche (en Autriche il faut être médiocre), l’art d’État auquel se sont vendus les Maîtres Anciens. Les balles fusent, les émotions s’enchaînent, jusqu’à ce qu’on comprenne le pourquoi de ce rendez-vous.
Du grand talent.
Aux Déchargeurs du 02 au 26 mars 2022 (Reprise)
Mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche : 21h15
Texte : Thomas Bernhard – traduction Gilberte Lambrichs
Avec : François Clavier
Mise en scène et adaptation : Gerold Schumann
Visuel : Pascale Stih