
Un grand bravo à Nikita Faulon pour Clytemnestre, spectacle splendide, qui crie l’ineptie de l’opposition entre les sexes, cette opposition dont la femme est toujours victime. Mise en scène par Lucas Borzykowski, appuyée par Raphaël Mars, musicien spectral, Clytemnestre est un cri, un coup de poing, un bijou.
Au fond de la scène, une silhouette blanche, des pieds à la tête. Deux claviers, une guitare, une basse. Arrive La Duchiasse, Drag Queen exubérante, qui accueille le public. Avec un rappel mythologique bienvenu, la malédiction des Atrides, la guerre de Troie, Agamemnon, Iphigénie, Electre, Oreste, Egisthe. Des noms que nous avons tous entendus, qui font partie l’univers de Clytemnestre. La voilà qui entre, dans une robe spectrale. Je ne sais pas ce qu’on vous a raconté sur moi...
Nikita Faulon donne la parole à Clytemnestre, Clytemnestre vient nous raconter son histoire, celle qu’elle a vécue. Elle vient nous raconter comment, ligotée par les traditions, elle a tenté de sauver Iphigénie, elle a vu Agamemnon lui trancher la gorge. Un Agamemnon pitoyable, tant pendant sa nuit de noce qu’à son retour de Troie. Et puis Electre, rasant les murs du palais, Oreste, Egisthe. Ils sont tous là.
Et c’est un coup de poing. Un cri. Un hurlement.
Un coup de poing sur le fond.
Clytemnestre, dans notre mémoire collective, est une méchante. Elle a trompé son mari, l’a assassiné, a ignoré ses enfants ? C’est le point de vue du sexe opposé, le point de vue de l’homme. Est-ce qu’elle a choisi son premier mari ? choisi qu’il soit assassiné ? choisi d’être prise par un soudard ivre surpris qu’une veuve ne soit pas vierge le jour de sa nuit de noce ?
Le texte de Nikita Faulon est fort, intense. Dans la lignée des contes ancestraux, les anciens, qui disaient les mots. Il en prend le contre-pied. Les contes ancestraux préparaient à l’inéluctable, Clytemnestre vient crier que non, on peut faire autrement, que les femmes qui viennent après elle n’ont pas à accepter ni subir la pression qu’elle a subie.
Nous connaissons tous La Belle et La Bête. La version Bisounours de Walt Disney. Pour les plus anciens, le film esthétique de Jean Cocteau. Relisez le texte d’origine, celui de Mme Leprince de Beaumont. Il prépare la jeune fille à l’idée qu’elle n’aura pas le choix, son destin est d’épouser par contrainte un homme riche, vieux, laid, si elle a de la chance, ça se passera bien. La Belle, c’est Clytemnestre, ça ne s’est pas bien passé, du tout, la vie s’est servie d’elle comme d’un paillasson, elle a été emportée dans cette guerre où les sexes sont opposés.
Clytemnestre est là, qui dit les conséquences d’avoir accepté ce destin. Clytemnestre est là, qui crie J’ai dit oui, dites non. Clytemnestre est là, qui dit aux femmes de ne pas avoir peur d’elles même.
Un coup de poing dans la forme artistique.
Clytemnestre est un spectacle complet, protéiforme. On y rencontre des formes multiples, le conte, le chant, l’alexandrin scandé, la prose.
J’ai savouré, admiré le jeu, l’engagement de Nikita Faulon, totalement habitée par son projet, elle porte le texte avec conviction, avec une immense justesse. A son côté, Raphaël Mars, musicien spectral, qui l’accompagne, la soutient, et qui signe les musiques du spectacle, compositions ou réinterprétations de chansons intemporelles. Le binôme est fantastique, soutenu par une lumière soignée, par une régie dont on salue la performance. Mis en scène par Lucas Borzykowski dont on sent le travail de cadrage méticuleux.
Il m’a fallu le spectacle pour comprendre l’intervention de Jean Deron, qui signe maquillage et costumes, qui introduit le spectacle avec les sequins de La Duchiasse, une autre forme de prise de position, de renoncement à l’opposition, à la guerre entre les sexes.
Le spectacle se donne dans le cadre du Festival NTA, Nouveau Théâtre de l’Atalante. Saluons le travail de l’équipe qui a repris le lieu, soutenue par la DRAC, et se dédie au soutien de la jeune création, leur offrant la possibilité de mettre au point leur spectacle, de le présenter dans une programmation faite de coups de coeurs et de paris sur l’avenir.
Clytemnestre est un bijou, une nouvelle génération de comédiens naît sous nos yeux, un cri qu’on ne peut apaiser, un coup de poing qu’il est nécessaire de savoir recevoir.
Au Nouveau Théâtre de l’Atalante dans le cadre du Festival NTA
9-10-11 novembre 2022 – 19h00
Texte : Nikita Faulon et Lucas Borzykowski
Avec : Lucas Borzykowski
Mise en scène : Nikita Faulon, Raphaël Mars, Jean A. Deron
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