L’Avare de Molière par Jérôme Deschamps – Théâtre de la Ville Les Abbesses / Fêtes Nocturnes de Grignan : Pourquoi en sommes-nous venus à trouver Harpagon attachant ?

L’Avare aux Abbesses puis aux Fêtes Nocturnes de Grignan : Molière par Jérôme Deschamps. Le texte est intemporel, les costumes sont beaux, et Jérôme Deschamps donne un Harpagon bonhomme, presque touchant, presque attachant. Pourquoi ne pouvons nous plus détester Harpagon ?

Une grande toile de fond de scène, qui peut-être représente la lune. Trois piliers de chaque côté. Sinon la scène est vide. Voilàà Valère et Elise, qui courent joyeux. Hé quoi ? charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi ? Je vous vois soupirer, hélas ! au milieu de ma joie ! Est-ce du regret, dites-moi, de m’avoir fait heureux, et vous repentez-vous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre ?

L’Avare de Molière, monté par Jérôme Deschamps. Si vous y allez pour voir les Deschiens, vous serez déçus. Il y a quelques citations en mode farce étendu, des grimaces, des cris, des mains qui tapotent sur une table. Rien de plus.

L’Avare de Molière, monté par Jérôme Deschamps. C’est globalement bon. Pas ou peu d’accessoires, de très beaux costumes de Macha Makeïeff. Une jolie distribution, pleine d’entrain, j’ai particulièrement apprécié le naturel des quatre jeunes amoureux. Qui donne un beau texte, qui fait rire. Deux choses précieuses, qui font du bien.

Et puis il y a le parti pris. L’Harpagon de Jérôme Deschamps est un petit bonhomme presque attachant. Tyrannique, bien sûr, mais touchant. Un enfant gâté qui veut contrôler son univers, à qui on pardonne tous ses caprices. Qui pleure quand il a perdu son doudou, et quand il le retrouve, il ne se réjouit même pas, il demande une glace, trois boules, avec un supplément chantilly, et des amandes grillées. Pour moi, Harpagon c’est l’enfant chétif qui a eu faim pendant toute son enfance, qui se faisait racketter son déjeuner, quand il en avait un, sur le chemin de l’école. Qui, devenu grand, a gardé la peur de la faim du lendemain, un besoin viscéral d’accumuler.

Quand résonne la tirade que tout le monde attend, quand Jérôme Deschamps commence « Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ; on m’a coupé la gorge : on m’a dérobé mon argent.« , tout ça n’est pas très important, ça l’est plus dans la séquence finale, après les révélations shakespeariennes, qui du coup tombe un peu à plat, j’avais du mal à détester Harpagon.

C’est un signe des temps. Quand j’ai vu l’Avare pour les premières fois, les adultes qui m’entouraient et les acteurs qui étaient sur scène avaient grandi pendant la deuxième guerre mondiale, ou les années qui l’avaient suivie. Ils avaient connu la faim, la peur du lendemain, quelle que soit leur classe sociale. Ils la portaient, la transmettaient. On finissait l’assiette, on sauçait, on mangeait le bout de pain. On avait un voisin qui avait grandi en ayant faim et froid, qui avait fait de belles études, avait un bon job, et qui restait grippe sou. On connaissait un Harpagon, ce n’était pas une caricature, et on lisait Picsou. En 2023, ce n’est plus le cas, et Jérôme Deschamps prend un parti qui parle à son public, il lui donne un Harpagon qu’il connaît. Il évite de caricaturer un profil de personne, de nos jours, ostraciser est impossible, le faire visiblement en tout cas.

Voyez l’Avare de Jérôme Deschamps au premier degré, savourez le texte, riez. Et demandez-vous pourquoi vous n’avez pas détesté Harpagon.

Au Théâtre de la Ville – Les Abbesses jusqu’au 29/04/23
Du mardi au dimanche : horaires selon les jours, 15h00 ou 20h00

Aux Fêtes Nocturnes de Grignan du 23/06/23 au 19/08/23
Du lundi au samedi : 21h00

Durée : 2h15

Texte : Molière
Avec : Flore Babled, Bénédicte Choisnet, Lorella Cravotta, Vincent Debost, Jérôme Deschamps, Fred Epaud, Hervé Lassïnce, Luise Legendre, Yves Robin, Stanislas Roquette, Geert van Hervijnen (en alternance avec Bastien Chevrot)
Mise en scène : Jérôme Deschamps

Visuel : Juliette Parisot

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com

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