
Poil de Carotte, Poil de Carotte au Monfort : une mise en abîme du livre de Jules Renard par Flavien Bellec, Solal Forte et Étienne Blanc, une dissection méticuleuse des mécanismes de l’humiliation et de ses conséquences.
Sur la scène, deux chaises, un petit tigre en plastique. Un grand écran, un projecteur, un ordinateur. Dans l’ombre, on distingue un banc noir, un sac de supermarché. Quelques notes, piano, nappes de violon. Solal Forte arrive du fond de la salle. Dans ses mains, un livre, une perruque orange. Il allume la scène, tape « poil de carotte, poil de carotte », commence à lire… Je passe un bien vilain moment. Tous les livres me dégoûtent…
Poil de carotte, vous connaissez. L’enfant roux, mal aimé, pris entre une mère qui le déteste, un père qui s’en fout, un frère et une sœur aînés qui le briment et l’humilient. Un livre de Jules Renard, écrit au XIXe siècle. Un classique qu’on a tous étudié en classe, adapté à la télévision, au cinéma, au théâtre, en comédie musicale. Devenu un texte pour enfants. Que nous pensons connaître, dont nous croyons qu’il n’a plus grand chose à nous dire.
Solal Forte lit le journal de Jules Renard. Son projet ? Monter une nouvelle fois une pièce autour de Poil de Carotte. Il est un peu perdu. Voilà Flavien Bellec. Lui, c’est celui qui a tout fait, qui connaît tout le monde. Il fait l’honneur à Solal de lui consacrer du temps, de partager avec lui sa vision du monde, du théâtre.

Flavien Bellec, Solal Forte et Étienne Blanc proposent un Poil de Carotte revisité, une mise en abîme en quatre temps. Si la maltraitance de Poil de Carotte est souvent physique, ils nous décrivent dans le détail l’humiliation systématique de Solal, un brave garçon un peu paumé, par Flavien, l’homme qui se la joue. Ils démontent le mécanisme de cette humiliation, comment chaque mot, chaque geste, chaque caractéristique de Solal est saisie, détournée, écrasée. Ils prennent le public à témoin, et quand Solal sera seul sur scène, aura l’occasion de s’expliquer, ce sera pour justifier le comportement de Flavien et d’Étienne. Un public pris à témoin, qui donc aurait eu l’occasion d’intervenir, qui ne l’a pas fait, au contraire, il rit.
Poil de carotte, poil de carotte est annoncé comme une entreprise de démasquage de l’imposture artistique contemporaine. Dans tous les métiers, dans tous les secteurs on trouve cette dichotomie, le bosseur besogneux face au frimeur creux que tout le monde admire, en réunion ou devant la machine à café.
Poil de carotte, poil de carotte est surtout une dissection méticuleuse de l’humiliation, son mécanisme, ses conséquences. Et de notre absence de réaction. Le fameux mais enfin, c’est pas grave, t’as pas compris, c’était pour rire, avec son sous texte, t’es encore plus con que ce que je pensais. En gardant en trame de fond le roman de Jules Renard. L’urine, le seau.
Et comme c’est bien joué, on y croit d’un bout à l’autre. Suivez leurs regards, quand l’un parle, sachez regarder l’autre.
Au Monfort jusqu’au 22/04/23
Du mardi au samedi : 20h30
Durée : 1h20
Conception et interprétation : Flavien Bellec, Étienne Blanc, Solal Forte
Visuel : Ye Tian // Statue de Poil de Carotte par Robert Pouyaud à Clamecy : GAF
Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com