Copenhague – La Reine Blanche -> 21/05/23 – Que se sont dit Niels Bohr et Werner Heisenberg quand ils se sont rencontrés à Copenhague ?

Copenhague à La Reine Blanche : Michael Frayn offre au spectateur la possibilité de trouver sa réponse à une énigme de l’histoire, que se sont dit Bohr et Heisenberg en septembre 1941. Un très beau texte, bien servi par Julie Brochen, Stéphane Valensi et Nicolas Vial. Un beau moment de théâtre, une occasion de s’interroger, à ne pas manquer.

Sur la scène, une table, quatre chaises, un tableau noir. Dans le noir et la fumée, les éclats de lampes torches… Mais pourquoi, pourquoi est-il venu à Copenhague ?

En septembre 1941, Werner Heisenberg est venu voir Niels Bohr, chez lui, à Copenhague. Dans les années 1920, il était son assistant. De leurs recherches est née la mécanique quantique, Heisenberg a reçu le prix Nobel en 1933 pour sa création. L’Allemagne est maintenant nazie, le Danemark est occupé. De nombreux scientifiques, principalement juifs, ont quitté le pays. Heisenberg est resté. Plus tard, l’Allemagne nazie concentrera ses efforts sur les fusées d’un autre Werner, von Braun. Elle capitulera en mai 1945. En août 1945, les États-Unis lanceront les premières bombes atomiques sur le Japon.

Que se sont dit Heisenberg et Bohr ce soir de septembre 1941 ? Nul ne le sait, pas même Margrethe Bohr. Heisenberg a donné sa version, plus tard, dans une lettre au journaliste suisse Robert Jungk qui contient ce dont il dit se souvenir. Niels Bohr a commencé à lui répondre, n’a pas terminé sa lettre, son souvenir est clairement différent.

En respectant ce fond historique, Michael Frayn pose son regard d’homme de théâtre et va emmener le spectateur à former sa réponse.

Dans un espace temps indéfini, Werner Heisenberg, Niels Bohr et Margrethe Bohr sont morts. Leurs esprits se rencontrent une nouvelle et dernière fois pour reconstituer ce moment, répondre à une question un peu différente, qui mine Niels Bohr : que cherchait Heisenberg ce soir là ?

Fil après fil, Michael Frayn tisse une toile. Il pose la trame, solide, sur Niels Bohr, sur sa recherche de sens. Et laisse à Werner Heisenberg le soin de filer une chaîne, ambiguïté après ambiguïté. Est-ce qu’il est venu convaincre Bohr de l’inutilité pour les équipes allemandes parties en Angleterre ou aux États-Unis de continuer leurs recherches sur l’énergie atomique, inutiles parce que l’Allemagne va gagner la guerre… ou plus tard, parce qu’elle va la perdre ? Est-ce qu’il est venu chercher la réponse à une question plus large, un physicien a-t-il moralement le droit de travailler sur les exploitations pratiques de l’énergie atomique ?

Au spectateur, finement guidé par Margrethe Bohr, de se faire son opinion.

Dans un décor qui comporte quatre chaises pour trois personnages, la chaise vide est-elle celle d’Einstein, le Dieu d’une physique dont Bohr est le pape, celle du Dieu des croyants, ou celle que Heisenberg a laissée vide en repartant en Allemagne après trois ans passés auprès de Bohr en 1927 ?

Heisenberg est-il cet homme moyen, relégué à faire de la physique théorique au milieu des chercheurs juifs à une époque où, pour les allemands, la physique noble était la physique appliquée, et qui se retrouve à porter un costume trop large pour lui ? Est-il cet homme, sincère ou manipulateur qui vient passer le message de l’inutilité pour ceux qui ne sont pas encore les Alliés de poursuivre leurs recherches sur la bombe atomique, puisque de son côté il va faire en sorte que l’Allemagne parte sur une autre voie ? Vient-il tuer le père, chercher sa bénédiction, ou une absolution a priori ? Son erreur sur la détermination de la masse critique, induite par des travaux antérieurs de Bohr, est-elle volontaire, ou la conséquence d’une incapacité à remettre en cause ses calculs mathématiques ? Vient-il se chercher lui même, dans le miroir de ceux qui le connaissent le mieux, quand la physique quantique remet l’observateur au centre de l’univers perçu, en faisant le seul élément qu’il ne peut percevoir ?

Michael Frayn ouvre des portes, au spectateur de conclure, sur les derniers mots de la pièce. Sans jamais oublier que Heisenberg a laissé son nom au principe d’incertitude… ou plutôt au principe d’indétermination.

Un très beau texte, un huis clos superbement servi par une belle distribution homogène et équilibrée. Julie Brochen, Stéphane Valensi, Nicolas Vial qui signe également la mise en scène. Margrethe Bohr, Niels Bohr, Werner Heisenberg. Chacun jour sa partition, et le spectateur sort comblé.

Tout ça c’est de l’histoire ancienne, du passé ? Tout ça se passait il y a un siècle, Bohr est mort en 1962, Heisenberg en 1976. Chacun d’entre nous connaît un de leurs contemporains. Le monde est à nouveau sous tension. Chaque année, de nouvelles technologies apparaissent, on leur trouve de nouvelles applications.

A La Reine Blanche jusqu’au 21/05/23
Du mercredi au samedi : 21h00; dimanche 21/05 : 16h00
Durée : 1h50

Texte : Michael Frayn (traduction Jean-Marie Besset)
Avec : Julie Brochen, Stéphane Valensi, Nicolas Vial
Mise en scène : Nicolas Vial

Visuel : L’Oeil de Paco

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com

Pour aller plus loin : la famille de Niels Bohr a rendu public les documents relatifs à la rencontre de 1941.

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