
L’Arbre à Sang aux Plateaux Sauvages : dans le bush, une mère, deux filles, le corps du père. La fin d’un calvaire. Un texte au scalpel d’Angus Cerini, mis en scène à l’os par Tommy Milliot. Un coup de cœur pour ces émotions brutales, viscérales, à voir absolument
Sur la scène, un plancher, trois chaises. De ces chaises robustes qu’on trouve dans les lycées, les cantines. Trois femmes entrent, s’assoient. Avec une balle dans le cou, ta tête de crétin a l’air bien mieux qu’avant.
Une mère et ses deux filles. M’man, Ada, Ida, l’une est encore une gamine. A leurs pieds, le cadavre du mari/père. Leur calvaire est fini, elles y ont mis fin. Toutes les trois. Repose en paix, papa crétin. Mange du vomi en enfer. On a connu plus empathique comme oraison funèbre. Pour l’instant, elles sont soulagées. Elles fêtent leur liberté. Plus tard viendra la culpabilité, la peur, la paix.
On est quelque part dans le bush australien, dans une ferme, chez des petites gens qui n’ont pas grand chose d’autre que le fruit de leur labeur, qui parlent peu, qui n’ont pas l’habitude d’exprimer leurs sentiments. Il y a un pub, une fabrique, pas de policier local. On se débrouille. Pour l’instant elles se débrouillent, avec le corps. Trois personnes passeront. Le voisin qui a ramené le père en camion, il a entendu un coup de feu proche. Une femme, avec une tarte. Le facteur, avec son chien.
On se débrouille, on est solidaire, on est taiseux. En un geste, on ne voit pas le corps, on donne une idée, le monter dans l’arbre au fond de la cour, on invente une garce de sœur. On ne dit pas « On est avec vous », on dit « chaque femme du village a donné une pomme, et chaque homme une buche ».
Trois jours vont passer. C’est suffisant, quand il fait chaud.
La langue d’Angus Cerini, traduite par Dominique Hollier, est au scalpel. Les mots strictement nécessaires, pas plus. Des mots rugueux. Simples sans être bêtes. Les trois femmes analysent, se projettent. On ne voit pas les visiteurs, elles les racontent, les émotions sont là, prégnantes. Parfois les deux filles redeviennent des enfants, alors les mots fusent. Angus Cerini ne juge pas ses personnages, ces trois femmes, c’est aussi la force de son texte, de les laisser évoluer, décrire.
Si le texte est au scalpel, la mise en scène va à l’os. Tommy Milliot a voulu un dispositif scénique réduit à l’essentiel, trois chaises banales sur un plancher, une lumière qui indique le passage des jours. Peu de mouvements. Dominique Hollier, la mère. Aude Rouannet, la fille. Lena Garrel, la gamine. Très justes toutes les trois, elles enchainent les mots, projettent les émotions. Il faut peu de choses pour construire une situation complète dans l’esprit du spectateur. Elles sont plongées dans un dispositif immersif, les spectateurs les entourent sur trois côtés d’un hexagone, les soutiennent. Le spectateur est dans le dur. Il ressent en direct les émotions de ces trois femmes, l’appui protecteur de tout un village. Sans les voir, il sent les larves gorgées de mort tomber dans le bec des poules. Ses sensations sont, sans filtre, celles qui se dégagent sur le plateau. Le corps qui se décompose. Les émotions des trois femmes. La puissance du soutien qu’elles reçoivent.
Dès les premiers mots, je me suis laissé embarquer. Comme toute la salle, presque pleine, très jeune. Qui a longuement, très longuement applaudi, à la fin du spectacle.
Un vrai sujet, une vraie histoire. Pas d’effets de manche, peu de mots, une scénographie minimale. Des émotions brutes, viscérales, sans filtre. Ca, c’est du bon théâtre, de ces pièces dont on a besoin pour remplir les salles.
Vous avez compris. Allez voir l’Arbre à Sang.
Aux Plateaux Sauvages jusqu’au 05/10/23
Du lundi au vendredi : 19h00; samedi : 16h30
Durée : 1h00
Texte : Angus Cerini
Avec : Lena Garrel, Dominique Hollier, Aude Rouanet
Mise en scène : Tommy Milliot
L’arbre à sang à été produit et créé par la comédie de Béthune dans le cadre de l’Itinérance
Visuel : Pauline Le Goff
Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com

Une réflexion sur “L’Arbre à Sang aux Plateaux Sauvages, la fin du calvaire d’une mère et de ses deux filles, Tommy Milliot vous emportera jusqu’à l’os.”