Aurez-vous l’estomac assez solide pour affronter Killology à La Reine Blanche ? Une pièce aussi importante qu’Orange Mécanique de Kubrick

Killology à La Reine Blanche : Benjamin Guyot met en scène le texte de Gary Owen. Une plongée dans une ultra violence esthétique, une interrogation sur l’influence des jeux vidéo sur le comportement des jeunes désorientés. Aurez-vous l’estomac assez solide pour vous y confronter ?

Sur la scène, un fauteuil, il servira plus tard. Un homme en noir, une valise métallique à la main. Une fuite de gaz, il fait. S’il y avait une fuite de gaz on me l’aurait signalée.

L’homme en noir s’introduire dans un appartement en se faisant passer pour un employé du gaz, il y reste en s’enfermant dans les toilettes, avec l’aide d’un complice pas très malin. Plus tard, nous saurons pourquoi ce père s’est ainsi claquemuré. C’est l’appartement de l’auteur de Killology, un jeu vidéo où il faut tuer son adversaire. Habituel ? pas tout à fait. Pour marquer des points dans Killology, il faut que l’adversaire meure en souffrant, et le regarder mourir.

Pour l’instant, nous suivons des pères, et des fils. Des relations père-fils dysfonctionnelles, qui débordent d’envies inexprimées, de rendez-vous manqués, de besoins d’amour inassouvis. Dans Killology, il y a des morts, des agonies, une vengeance.

L’horreur marche rarement au théâtre. Killology emmène le spectateur dans un tourbillon de violence absolue qui ne le laissera pas indifférent. On n’y trouve pas de séquence gore, pas de faux sang qui ruisselle sur la scène, pas de musique soudaine.

Le théâtre que je soutiens, que j’aime, c’est d’abord un texte, un texte fort, défendu par une distribution solide qui, sans artifices inutiles, va créer une histoire dans le cerveau du spectateur. Killology m’a emmené à l’os de cette conviction, et j’en suis sorti fasciné. L’estomac au bord des lèvres, et fasciné.

Par le propos, d’abord. L’influence de la violence de certains jeux vidéos sur les esprits un peu fragiles qui s’y immergent de façon incontrôlée, bien sûr, le thème est à la mode, les jeux vidéo peuvent-ils vaincre l’aversion à s’emparer d’une vie humaine ? Les relations manquées entre les pères et les fils quand les familles sont décomposées et les cellules familiales explosées, également. Gary Owen pousse les curseurs, sature les amplis, laisse diverger, voilà le résultat.

Par la mise en scène de Benjamin Guyot, ensuite. En s’appuyant sur une superbe lumière d’Anna Geneste, il va à l’os. Pas d’artifices, pas de gesticulations. Il met la distribution au service du texte. Eric Antoine, Antoine Cordier, Thibault Rigoulet. Ils sont tous affutés, bons. Les pères, les fils, le concepteur.

En 1971 sortait sur les écrans Orange Mécanique, le film de Stanley Kubrick. Une réflexion sur la violence, sur la société, une esthétique, une interrogation, un film qui ne prenait pas partie. En 1971 également, le groupe Think sortait son seul titre, Once you understand. Quand Wolfman Jack diffusait le titre, il le laissait suivre d’un long silence, et des ces seuls mots : Heavy Song. Killology est de la même veine ? oui. On y retrouve le même pessimisme sans alternative, une question à laquelle chaque spectateur donnera sa réponse.

À la fin de la représentation, un épais silence emplissait le noir, puis les spectateurs ont longuement applaudi. Heavy Play.

Si vous aimez la franche rigolade, ou les tourments d’un triangle amoureux, évitez Killology. Si vous aimez le théâtre tripal et clivant, qui va à l’os du texte, qui vous bouscule, qui va vous mettre l’estomac au bord des lèvres, vous plonger dans un abime de réflexions, vous vous laisserez prendre par la violence esthétique de Killology.

Comme il fallait aller voir Orange Mécanique, il faut aller voir Killology. C’est une pièce importante. C’est un de nos coups de cœur de la rentrée.

Au Théâtre Reine Blanche jusqu’au 15/10/23
Mercredi, vendredi : 21h00; dimanche : 18h00
Durée :

Texte : Gary Owen traduit par Kelly Rivière
Avec : Eric Antoine, Antoine Cordier, Thibault Rigoulet
Mise en scène : Benjamin Guyot

Visuel : François Berlivet

Cette chronique a été publiée pour la première fois sur www.jenaiquunevie.com

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