Au bord, de Claudine Galea, avec Cécile Brune

Claudine Galea a écrit un texte autour de sa sidération face à une photo fascinante et terrifiante. Elle y dissèque son regard porté sur l’horreur. Défendue par Cécile Brune et mise en scène par Stanislas Nordey la pièce est un coup de poing à couper le souffle.

Une femme tient un homme en laisse

En 2004, la photo d’une jeune militaire américaine tenant en laisse un prisonnier nu et à terre dans la prison d’Abou Ghraib en Irak paraît dans la presse. L’écrivaine, Claudine Galea, la découvre et, sous le choc, l’épingle sur son mur de travail. Pendant quinze mois, elle va tenter d’écrire, de décrire et d’explorer ce qui se réveille en elle au plus profond de son intime.  

Son regard porté sur cette photo va extraire une partie d’elle-même aux frontières de son sadomasochisme, de sa libido, de son rapport érotique au monde. Elle parviendra à dépunaiser la photo, mais la trace optique survivra. La photo est en elle pour toujours.

Sous hypnose

 Le texte est déconstruit, il est une parole libre de toute résistance, comme sous hypnose. Il est en même temps construit autour de répétitions, de décalages, de fausses rondeurs, d’allers-retours, de pliures entre réalité et rêve. L’autrice passe et repasse sans s’épuiser à l’endroit où l’œil communique avec la psyché. Elle parviendra à articuler, dans le jaillissement d’une langue poétique et crue, ce que l’image grave au plus profond de l’âme, les rapports de pouvoir, les volontés d’emprise et d’humiliation. Elle parviendra à exhumer des lambeaux de son enfance, des franges de sa sexualité.

Une pièce sur le regard

Stanislas Nordey a imaginé un décor hypnotique où le regard, le nôtre, ne sait où s’accrocher. La comédienne Cécile Brune nous arrache des larmes. Elle réussit l’impossible, sait concilier le barbare et l’humanité. Elle nous fait entendre l’éloquence de Galea. Sa voix résonne en nous. Elle nous donne à voir ce que nous ne voulons voir. L’émotion est massive. L’ambiance de la salle est celle d’une messe figée dans le temps. On ne sort pas indemne de Au Bord

Au Bord

Texte Claudine Galea mise en scène Stanislas Nordey

avec Cécile Brune

du 15 mars au 9 avril 2022

du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 15h • durée 1h

Théâtre de La Colline

Petit théâtre 

Crédit Photo © Jean-Louis Fernandez

Très réussie création des « Chaises » de Ionesco par Stéphanie Tesson

Dans la petite salle du Poche Montparnasse pour Les Chaises d’Eugène Ionesco, le couple Catherine Salviat – Jean Paul Farré dirigé par Stéphanie Tesson nous invite à leur délire, leurs atermoiements et leurs divagations tristes. Et c’est déjà culte.

Le désenchantement des laissés pour compte

Le théâtre de l’absurde d’Eugène Ionesco se résume dans cette farce aigre-douce et mystérieuse. Et comme souvent chez l’auteur, la situation inventée imbrique le tragique et le comique, la satire sociale et la dérision.  Il a 95 ans, elle en a 94 et elle n’a pas renoncé à dire son admiration pour son mari, et à distiller ses espoirs  déçus. Seuls dans une maison perdue sur une île battue par les flots, le couple cacochyme ressasse, usées les mêmes histoires. Sauf que ce jour-là, le vieil homme dit détenir un message au monde. Il veut réunir  des personnalités pour enfin délivrer son manifeste. Sa pensée de vieillard est empêchée depuis toujours; ce sera donc un orateur professionnel qui viendra proclamer à sa place son testament au monde devant un aréopage d’invités triés sur le volet. L’orateur se révélera sourd et muet et les invités invisibles.

Un casting de légende

Catherine Salviat et Jean Paul Farré sont si bien appariés que chaque mouvement, chaque regard, chaque mot est plein d’une force dramatique imprévisible. Nous sommes saisis. Les deux comédiens complices vérifient cette loi du théâtre qui voudrait qu’un bon comédien soit un bon partenaire. Catherine Salviat, sociétaire honoraire de la Comédie Française, remplit tant son rôle que jamais on n’aura mieux compris la déréliction et les causes du délire de ces deux-là âgés décrépis dépassés.  Jean Paul Farré retient avec intelligence le clown en lui pour nous émouvoir sans oublier de nous faire rire.

La malice de Stéphanie Tesson consiste à offrir un subtil et quasi invisible écrin aux deux comédiens. Nous retrouvons son talent pour l’épure, les déplacements plateau et pour les costumes qui sont formidables d’ambiguïté entre le clownesque et l’élégance d’une indigence paysanne. Son sens de l’humour sera de nous donner les mêmes chaises que celles de la pièce nous transformant en acteurs du délire. A ne pas manquer.

 

 

Comme il vous plaira de Shakespeare par Lena Bréban

Se saisissant de la comédie malicieusement décalée de William Shakespeare, Comme il vous plaira, Léna Bréban fabrique un spectacle sans défaut restituant l’humour et la jubilation originels.

Une comédie à la Molière

Cette comédie légère écrite vers 1599 a été inspirée par un roman de Thomas Lodge Rosalynde or Euphues’ golden legacie. Shakespeare y a trouvé son héroïne ; et une fable ordonnée autour d’une fabuleuse analyse de l’amour chez une jeune fille.  Lorsque l’on découvre Rosalinde, qui est jouée par l’exceptionnelle Barbara Schultz dont il faut reparler, la jeune fille fuyant la cour de son oncle, se réfugie dans la forêt des Ardennes, accompagnées de sa cousine Célia,  dans une quête de sécurité et d’amour. Le duo sera amené à rencontrer différents personnages, notamment Jacques interprété par Pierre-Alain Leleu qui cosigne l’adaptation. Le personnage de Jacques voyageur mélancolique est présent dans plusieurs pièces de Shakespeare, il sera celui coupable de la tirade si célèbre Le monde entier est un théâtre. Pierre-Alain Leleu rend hommage avec  humour, burlesque et force à ce caractère théâtral shakespearien.

Le monde entier est un théâtre, et tout le monde, hommes et femmes y sont acteurs

La réussite de cette mise en scène n’est pas un aléa, elle confirme le savoir faire de Léna Bréban. La comédienne impressionnait déjà en 2016, dans un seule-en-scène, Garde-barrière et Garde-fou de Jean-Louis Benoît. L’année précédente, elle avait joué dans la pièce de Sharr White, “La Maison d’à côté”, , mise en scène par Philippe Adrien, pour laquelle elle a été nommée au Molière du second rôle. En 2013, on l’avait repérée dans le diptyque de Molière (L’École des femmes et Agnès) monté par Catherine Anne. On la retrouve régulièrement au cinéma et à la télévision. Elle est aussi l’auteure et la metteuse en scène de Verte, un spectacle très jeune public, où elle fabriquait un merveilleux univers entre conte et magie. Durant le confinement, elle imagine pour des représentations dans des lycées Renversante, tiré du livre de Florence Hinckel où elle nous invitait à découvrir un monde où régnerait la domination féminine pour y détricoter quelques clichés solides.

En début de saison, c’est au Théâtre du Vieux Colombier, au sein de l’univers d’excellence de la Comédie Française, que Léna Bréban présentait un très réussi Sans Famille d’Hector Malot. La comédienne qui brille d’une infaillible intelligence du jeu et d’une forme d’humilité agissante y réconciliait classicisme et innovation, art dramatique et entertainement. Avec Comme il vous plaira, elle reprend l’équation et ajoute l’injonction de Shakespeare : Les acteurs colonisent l’ensemble de la salle, entrent et sortent par les portes réservées au public, montent dans les corbeilles, balcons et poulaillers. : le monde entier est un théâtre.

Le fou se croit sage ; mais le sage sait qu’il n’est qu’un fou

Personne ne va mourir et à la fin de Comme il vous plaira, comme chez Molière, tout s’arrange. Les pièces de  Shakespeare ne connaissent pas de demi-mesure : les tragédies sont aussi sombres que  les comédies légères. Lena Bréban appuie le trait ; elle vitamine l’édifice théâtral ; on se délecte de la vitalité des personnages, de la modernité des mots  et de son ajout comique et tendre de chansons connues.

Certainement parce qu’elle est dirigée par une authentique et talentueuse comédienne, la troupe émerveille. Géniale Ariane Mourier, piquante Léa Lopez, formidables Adrien Dewitte, Adrien Urso, Éric Bougnon, et Jean-Paul Bordes. Chacun impressionne. Et puis, s’ajoute un ravissement bluffant devant le jeu de Barbara Shulz qui face à l’habile Lionel Erdogan emporte le public. La comédienne au vaste spectre dévoile une variété de jeu et une solide puissance comique.

 

Laurent Lafitte est Dom Juan, forcément

Emmanuel Daumas propose dans une mise en scène minimaliste un Dom Juan axé sur la performance de Laurent Lafitte. Le comédien relève le défi et enchante le public.

Dom Juan est une pièce moralisatrice et anachronique

L’histoire est connue. N’écoutant que son plaisir, Dom Juan enchaîne les conquêtes. Ses victimes deviennent des jouets de sa rhétorique de séducteur. Son serviteur Sganarelle, faussement loyal, s’inquiète de l’amoralité de son maître et voudrait l’extraire de cette pente dangereuse, tandis que son père renonce par amour à le bannir. Prisonnier de son principe de plaisir massif et exclusif, il ne se dépasse que dans un au-delà de ce principe par une répétition compulsive aussi enivrante que mortifère. Rien ne semble sauver Dom Juan de la récidive.

Chez Molière, qui à l’époque emprunte beaucoup au théâtre espagnol, Dom Juan à l’origine rustre devient un débauché éclairé et cultivé. Il forme avec Sganarelle un duo édifiant. Le libertin se brûle dans la quête d’un individualisme qui infracte l’ordre religieux et enjambe l’égalité hommes-femmes. Chez Emmanuel Daumas, le fait clérical est radicalisé. La pièce commence par une procession religieuse aussi ridicule que terrifiante. Il nous plonge au plus près de l’archaïque patriarcat religieux. En réponse, Dom Juan pratique un jusqu’au-boutisme funeste.

Laurent Lafitte en érotique effraction

Le dispositif imaginé par Emmanuel Daumas est celui du théâtre forain, un plateau nu en bifrontal délimité par quatre poteaux façon ring de boxe, en contrebas les loges et leurs grands miroirs à vu. Nous pourrions parler de ces poteaux qui parfois cachent le visage du comédien, discuter des surprenantes prestations d’Alexandre Pavloff. Nous pourrions aussi parler de cette statue du commandeur transformée en bête chimérique ; nous pourrions parler de tout cela éloquemment. N’en parlons pas justement, car la force du spectacle, formidable, se joue ailleurs.

Laurent Laffite et Stéphane Varupenne, Dom Juan et Sganarelle, impressionnent. Les deux comédiens sont pleins d’une sincérité rare. Au sein de ce monde éminemment corseté, et plongé dans un drame liturgique et ritualisé, Laurent Laffite construit un Dom Juan en perpétuelle effraction de la société qui l’entoure, dans un forçage vibrant et assuré de son désir de libertin. Par son interprétation fine, on comprend tout, on adhère à tout: à son léger sourire, à sa conviction solide pour l’individualisme, à son insurrection optimiste. Mieux encore: le comédien use de son charme, de sa beauté et de sa sensualité pour érotiser le rôle. À ses côtés, Varupenne en désillusionné moderne nous apparait si familier, si proche de nous ; il restitue avec brio la sincérité d’un Sganarelle en valet soumis mais non dupe. 

En un mot, ce Dom Juan est une réussite. Nos doutes sur l’opportunité de certains détails de mise en scène ne sauront nous priver de la joie intense de découvrir le splendide et irréprochable Dom Juan créé par Laurent Lafitte.  

Dom Juan
de Molière
Mise en scène Emmanuel Daumas
Avec Alexandre Pavloff, Stéphane Varupenne, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Adrien Simion
Scénographie et costumes Radha Valli
Lumières Bruno Marsol
Son Dominique Bataille
Maquillages et perruques Cécile Kretschmar
Collaboration artistique Vincent Deslandres

Durée : 2h15

Théâtre du Vieux-Colombier, Comédie-Française, Paris
du 29 janvier au 6 mars 2022

Crédit Photo © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Petite, une pièce qui tient du prodige aux Déchargeurs

Ariane Louis a écrit Petite, sélectionnée par le bureau des lecteurs de la Comédie Française, une pièce étrange et mystérieuse où il ne se passerait presque rien si le public en apnée ne pressentait que ce rien là rappelle notre destin d’être parlant. L’expérience est merveilleuse. 

La vie est bavarde

Petite, c’est l’histoire de deux sœurs, dont nous ne connaîtrons jamais les prénoms. On nous parle aussi d’une autre sœur, une ainée qui était là avant. Avant quoi ? La petite et la grande qui n’est donc pas l’ainée vivent en autarcie, dans une pièce, seul univers. A l’extérieur, derrière la porte éternellement fermée un monde existerait ou pas. A la façon du théâtre de Beckett, nous nous situons après une catastrophe et les personnages ruminent leur moment présent. Au début les deux sœurs s’enlacent, fusionnent leur corps au sol, ne font qu’une puis lentement se séparent et se lèvent. Tandis que les paroles s’emballent, l’une range et déplace constamment de grandes boites, se refusant à sortir tandis que l’autre fixe la porte, se demandant ce qu’il y a de l’autre côté, appelant de ses vœux cet ailleurs autant qu’elle le craint. A leur côté, un homme raconte, explique interroge. Il est une altérité qui leur fait peur autant qu’elle les attire. Il est la contingence d’un nouvel horizon à découvrir. Mais y a t il quelque chose à découvrir ?

Les trois comédiens Ariane Louis, Julia Gratens, Edouard Dossetto sont formidables. Incarnés, charnels, à la sensualité provocante ils colonisent le plateau et la salle. La fièvre de Julia Gratens, l’énergie de Ariane Louis et l’animalité de Edouard Dosseto bousculent. Suspendu à leurs lèvres, à leur corps, et aussi à la chorégraphie des boites, le public est en apnée. 

La langue selon Ferdinand de Saussure 

La pièce constitue une tranche d’humanité. Les désirs, les espérances, les inquiétudes de chaque sœur effleurent chaque mouvement, chaque mot. Elles semblent piégées par les boîtes. Et par la langue. En linguistique, la dialectique Signifiant-Signifié s’articule autour du signifiant que l’on peut figurer comme une boîte portant en étiquette le mot ou le signe, et pleine de tous les signifiés, de toutes les représentations mentales du signifiant: du mot ou du signe. Dans l’univers des deux filles, les boîtes sont vides, ne portent aucune étiquette. Vierges de toute éducation, elles n’ont pas été domestiquées. Le langage les percute de façon désordonnée. Elles sont autant dans le récit que créées par lui. Les boîtes ne sauraient trouver un ordre. Dans ce moment où émergera peut être un discours qui nous donnera les clés, les deux jeunes filles sont authentiques et bouleversantes. 

Au TNBA, sous le regard de Catherine Marnas, le sourire d’Herculine.

Dans la grande salle du Théâtre National de Bordeaux Aquitaine, Catherine Marnas ressuscite avec respect et amour Herculine Barbin une hermaphrodite qui vécut au 19ème. La metteuse en scène et directrice du lieu s’est emparée du manuscrit abandonné publié par Michel Foucaut au 20eme siècle.

Dans son journal intime, Herculine Barbin se raconte sous la forme d’un cri d’amour vers ceux qui plus tard la liront. Un siècle après sa mort, Michel Foucault publie le récit original. Aujourd’hui Catherine Marnas ajoute une occurrence cardinale à l’œuvre. Sa pièce d’une grande élégance doit être vue, sans cesse expliquée, sans cesse commentée car elle se constitue de la mémoire d’une époque qui se trompait et de la preuve renouvelée que le sexe ne se décrète par un examen médical mais en interrogeant l’individu qui seul sait.  

Le sexe de l’ange 

J’ai à peine connu mon malheureux père, qu’une mort foudroyante vint ravir trop tôt à  la double affection de ma mère , dont l’âme vaillante et courageuse essaya vainement de lutter contre les envahissements terribles de la pauvreté qui nous menaçait

Herculine, déclarée femme à la naissance, élevée parmi des femmes dans un couvent, devient institutrice dans un établissement catholique pour jeunes filles. Très jeune, elle pressent sa différence sans la concevoir vraiment ; elle, lit singulièrement bouleversée les métamorphoses d’Ovide. On imagine son intérêt pour le récit où la nymphe Salmacis tombe amoureuse d’Hermaphrodite, le fils d’Hermès et d’Aphrodite, à la suite de quoi les deux êtres se fondent en un  être bisexué à la fois homme et femme. A la puberté, Herculine suite à des douleurs consulte un médecin. La découverte est sidérante pour le docteur comme pour sa jeune patiente. L’anatomie génitale d’Herculine est ainsi : un micro pénis imperforé recouvert d’un prépuce et ne dépassant pas en volume le clitoris de certaines femmes; au-dessous un urètre analogue a celui d’une femme, au dessous encore l’orifice d’un simili vagin qui se finit en un cul-de-sac. L’académie de médecine puis le tribunal appelé à statuer sont formels : Herculine est déclarée de sexe masculin en raison de ses caractères sexuels mélangés a proéminence masculine. Celle qui se croyait femme se trouve alors propulsée à 21 ans dans une nouvelle identité où elle devra se confronter en tant qu’homme à tous les pouvoirs : médical, moral, administratif. Herculine, devenue Abel, se suicidera en 1868 laissant derrière elle le fameux manuscrit.

La première expérience de spectateur est esthétique. Sur le grand plateau du théâtre, une rangée de lits et des draps blancs qui recouvrent ce dortoir. Au fond sur un écran blanc des projections videos troubles finissent de figurer au sein d’une pénombre un lieu hors temps, le siège d’une tristesse, d’une solitude, mais aussi, l’endroit des amours adolescentes. Déjà nous pénétrons le théâtre astral, uranien de la psyché d’Herculine.  Sur ce nuage onirique imaginée par Catherine Marnas, Herculine semble un ange. Interprétée par l’artiste non binaire Yuming Hey, elle est un ange attendrissant, fragile et évanescent. Le comédien, formidable de précision, mélange les genres pour rendre compte d’une corporalité singulière. Ses colères autant que son sourire bouleversent. Il fabrique par une géniale déréalisation l’abstraction nécessaire à nos réflexions.  Il est tout à la fois  notion refusant les archétypes.

Un témoignage pour le siècle.

Freud, dés 1910, invoque les exemples d’hermaphrodisme pour postuler de l’hermaphrodisme psychique. Il  révolutionne pour toujours notre rapport à la dialectique homme femme en proclamant avec courage que nous sommes tous  bisexuels, chacun vivant son genre géolocalisé par un processus inconscient sur une large palette où l’hermaphrodisme psychique est la règle. Enfonçant le clou, Freud découvre aussi que l’identité sexuelle est le résultat d’un processus d’identification. Nous ne sommes pas femme ou homme, nous nous identifions à notre sexe. Judith Butler finira le geste en décollant définitivement anatomie et identité,  en repérant le trouble dans le genre. Ainsi, le 21e siècle s’ouvre sur une reconnaissance, diversement partagée encore, de tous les genres et de toutes les sexualités. Et il est définitivement acquis que le sexe anatomique n’impose ni de s’accorder à un sexe réputé social ni de se conformer à celui d’une sexualité prévue. 

Le témoignage d’Herculine se déroule à une époque où les femmes sont fortement assignées socialement. Il est le témoignage authentique d’un individu isolé. La jeune hermaphrodite ne milite pour aucune cause sauf celle d’être aimée pour elle même. Sa belle plume au style littéraire du romantisme est toute conservée par Catherine Marnas. La scénographie forme un cocon merveilleux pour raconter les amours émouvantes pour la jeune Sara. Yuming Hey défend chaque biais tandis que Nicolas Martel qui  incarne tous les autres personnages impressionne par sa capacité à accompagner le récit harmonieusement. 

Retour sur le freudisme au 21eme siècle.

Depuis Herculine, le freudisme a subverti un patriarcat convaincu d’une différence radicale entre les sexes. Lorsque Herculine est déclarée homme, elle l’est au titre d’une théorie depuis invalidée tant par Freud que par les théories du genre. Catherine Marnas dans une généreuse humilité ne pose aucun manifeste, ne pousse aucune théorie, n’impose aucun point de vue sauf celui de nous faire aimer cette ado secouée par les multiples intrusions dans sa vie et par les effractions subies dans son intimité. Son geste vertueux respecte Herculine et appelle en retour à notre respect. 

Le testament d’Herculine Barbin reste brûlant – souhaitons que la pièce soit présentée au plus grand nombre- car les combats nécessaires d’émancipation de tous les genres et de toutes les sexualités se mènent encore partout avec vigueur.

Une pièce à voir et à méditer.

Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution
D’après Herculine Barbin dite Alexina B. publié et préfacé par Michel Foucault
Adaptation Catherine Marnas et Procuste Oblomov
Mise en scène Catherine Marnas

Avec
Yuming Hey
Nicolas Martel

Avec la complicité de
Vanasay Khamphommala et Arnaud Alessandrin
Conseil artistique
Procuste Oblomov
Assistanat à la mise en scène
Lucas Chemel
Scénographie
Carlos Calvo
Son
Madame Miniature
Lumière
Michel Theuil
Costumes
Kam Derbali

Crédit Photo ©Pierre Planchenault

« Alice, De l’Autre Côté » de Charlie Windelschmidt : Lacan chez les Freaks

Charlie Windelschmidt a écrit un spectacle-énigme inspiré de Lewis Carroll. Son Alice présenté à partir du 28 janvier au Théâtre de la Tempête se présente sous la forme d’un voyage dans la langue qui invite nos imaginaires à la fête et bien sûr au pays des merveilles.

Un voyage dans le langage

L’adaptation  par  Charlie Windelschmidt construit la juxtaposition du parcours personnel initiatique de la jeune Alice et notre  voyage au sein du langage. C’est admirable d’adresse littéraire. Avant de nous installer sur nos sièges pour ce voyage merveilleux nous sommes invités à traverser une grotte, figuration du puits de la chute d’Alice. Le drame prend place dans un Ephad. La jeune Alice débarque via une armoire de service au milieu de créatures cacochymes aux visages calcinés par le temps. Les comédiens portent des masques enveloppant l’ensemble du crâne et adoptent des  gestuelles monstrueuses. Le décor, les objets, la musique, les lumières et une géante montagne en plastique participent à construire un univers singulier à mi-chemin entre fantastique et monde des freaks.

« je n’ai pas les mots pour me taire »

Cet univers héberge la pliure de la langue; cette reliure qui fusionne les mots, le son de ces mots et leur sens. Qui mieux que ces vieux séniles ou alzherimerés comprennent que la parole démarre d’un son, d’un son primal chanté, entendu, répété et que même lorsque le sens se refuse, il reste ce son, ici le bruit du théâtre sur sa scène.

La force du texte est d’attraper deux enseignements de Jacques Lacan : un mot qui peut renfermer son inverse tue la chose décrite: une montagne peut être une vallée. Et la suite des mots n’est pas une combinatoire totalement libre, la langue nous oblige et nous empêche.

Charlie Windelschmidt, malicieux, fait dire à Alice la phrase du poète Charles Pennequin : je n’ai pas les mots pour me taire. Car le silence a besoin des mots, il n’est que l’envers de la parole, et s’il advient, c’est lorsque les mots manquent ou empêchent de dire. Sortir du langage serait sortir de l’humanité.

Foutraque et édifiant

Les tableaux se succèdent comme dans un jeu de l’oie où chaque case fait entendre l’affrontement des paroles, la confrontation des signifiants et la poésie de toute verbalisation.  A la dernière case : une victoire étonnante. La pièce, profondément humaine, est troublante et émouvante. La fin que nous ne spolierons pas est un délice d’humanité, et une pub pour la psychanalyse : chacun doit quitter son petit théâtre intime ou du moins quitter la scène pour s’asseoir dans la salle et l’observer. 

Le propos est fin et brillant (Est-ce qu’Alice deviendra Reine?  Sommes-nous aliénés à nos fictions secrètes?). La pièce est aussi un spectacle fantastique et envoûtant. L’expérience du spectateur est un délire foutraque enthousiasmant.

Bon ben à demain !  nous lâchera le dernier personnage avant de nous quitter.

Alice, De l’Autre Côté

mise en scène
Charlie Windelschmidt
d’après Lewis Carroll

avec
Anaïs Cloarec
Anne-Sophie Erhel
Véronique Héliès
Chloé Lavaud-Almar
Alice Mercier
Valéry Warnotte
scénographie Camille Riquier
lumières Stéphane Leucart
son Guillaume Tahon
assistanat à la mise en scène Simon Le Doaré
costumes Maela Le Chapelain

A partir du 28 janvier 2022 au Théâtre de la Tempête, La Cartoucherie – Paris

du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Salle Serreau • Durée : 1h15

Droits Photos Roland Soureau

La Cerisaie d’Anton Tchekhov mise en scène Tiago Rodrigues

A la suite de sa création dans la cour d’honneur du festival d’Avignon 2021, la singulière mise en scène par Tiago Rodrigues de la Cerisaie de Anton Tchekhov débarque à L’Odeon, théâtre de l’Europe. Dans une salle réduite la puissance du geste se déploie.

L’année 2022 voit advenir de jolis événements. La création de Tiago Rodriguez de la Cerisaie de Anton Tchekhov vient enchanter la grande salle du théâtre de l’Odeon, et en septembre, Olivier Py remettra les clés du festival d’Avignon à son successeur : le même Tiago. Tiago Rodrigues connaît bien Avignon. En 2015, il y crée le sexy Antoine et Cléopâtre ; dans un genre très différent, en 2017, sa finesse et sa justesse apparaissaient dans Occupation Bastille et de By Heart. Il sera le second artiste, après Olivier Py, à diriger l’institution créée en 1947 par Jean Vilar. Pour la première fois, un européen occupera le poste.

La Cerisaie est une pièce essentielle ; elle est majeure lorsqu’elle raconte avec netteté le moment de rupture dans les chroniques d’une civilisation qui accède à la modernité; elle est aussi, car elle raconte au plus près l’histoire d’une famille piégée par cette rupture, une pièce intimiste. La mise en scène de Tiago Rodrigues à la création au Festival d’Avignon en 2021 se noyait dans l’espace trop grand de la cour d’honneur du palais des papes. Le valet de famille Firs au final s’allongeait au milieu d’un interminable parvis échouant à figurer une demeure familiale abandonnée par ses anciens propriétaires dépossédés. La création à l’Odéon rend à la pièce son aspect intime.

La Cerisaie est le nom d’une propriété où l’élégante Ranevskava (Isabelle Huppert) et son frère ont passé leur enfance. A son retour de Paris, Lioubov Andreevna Ranevskava doit se rendre à l’évidence. Il faut vendre le domaine et, avec lui ce verger à cerises qui en fait le raffinement, la beauté et la célébrité à travers la Russie. Lopakhine, ancien serf devenu marchand, l’achètera. Il en abattra les arbres pour construire des résidences hôtelières, comme si pour lui ancien serf, posséder cette Cerisaie exigerait à en détruire la beauté.

Ainsi, en 1904, Tchekhov met en scène la fin du monde aristocratique et l’entrée triomphante d’une classe d’entrepreneurs. Il raconte ce que Karl Marx n’avait pas prévu: le renversement de l’équation possédant-possédé, la porosité des classes qui se moque de la lutte des classes, la primauté du commerce et des services sur l’industrie. Ce renversement chez Tiago Rodrigues n’oublie pas qu’il est aussi un naufrage. Le rock band qui accompagne le récit se veut coryphée, en même temps que le chant annonciateur de la modernité, mais il est aussi l’orchestre d’un Titanic qui sombre.

Isabelle Huppert est une diva, un phénomène théâtral. Elle est une désormais Lioubov patrimoniale. L’actrice donne tout. Elle rend compte d’une Lioubov faussement légère, un peu folle, sombre, suicidaire aussi telle que la voulait Tchekhov, mais elle est aussi forte d’un optimisme volontaire, d’une sensibilité qui nous mobilise. La comédienne incarne de tout son être une Lioubov nostalgique et blessée, sautillante à la pliure de celle qui veut savoir et de celle qui ne veut rien en savoir ; elle est bouleversante. Et inoubliable.

Tchekhov est déjà très malade lorsqu’est créée au Théâtre d’Art de Moscou La cerisaie qui sera sa dernière pièce. Le grand Stanilasvki, professeur d’art dramatique en sera le metteur en scène. Il écrira au créateur de la Mouette : La Cerisaie est votre meilleure pièce. Je m’y suis attaché encore plus qu’à notre chère Mouette. J’ai pleuré comme une femme. Je vous entends dire que c’est une farce, mais pour un homme simple c’est une tragédie. Pourtant, Anton Tchekhov assénera jusqu’à son dernier souffle, il meurt quelques mois après la première, que La Cerisaie est une comédie.

Tiago Rodrigues a exaucé les voeux d’Anton Tchekhov en fabriquant une Cerisaie délicieusement drôle, une farce philosophique et sociale telle que l’avait rêvée l’auteur. Adama Diop, prodigieux, défend un émouvant Lopakhine subtilement drôle. Lorsqu’il appelle le souvenir de son père et de son grand-père tous les deux serfs, frappant d’un pied lourd le plateau, son émotion ébranle la salle. Et lorsque face au public, sourire aux lèvres et agençant son costume, il annonce le dernier acte, le moment est à la grâce et à l’humour.

À l’instar de David Geselson, formidable, qui interprète un éternel étudiant à la fois clairvoyant -il veut que la Cerisaie soit vendue- et clownesque, gauche et empêtré.

À l’instar du merveilleux Tom Adjibi qui joue le drolatique comptable Épikhodov, surnommé mille malheurs qui embauché par Lophakine, survivra au renversement .

À l’instar aussi des fabuleux costumes qui concurrent à cette mise en acte des mots de Tchekhov. Comme sortis de l’univers d’un film d’Almodovar, ils sont aussi esthétiques que joyeux.

Bravo à Tiago Rodrigues , il aura réussi à assurer le spectacle tout en restituant le message de l’auteur et sa volonté. C’est précieux.

La Cerisaie

d’Anton Tchekhov

mise en scène Tiago Rodrigues

« L’Image », « Un soir », « Au loin, un oiseau » et « Plafond » de Samuel Beckett

Au Lucernaire, avec l‘Image, le duo Denis Lavant- Jacques Osinski saisissent avec une immense délicatesse quatre textes de Samuel Beckett. Les textes judicieusement choisis, car analogiques de l’univers de l’auteur irlandais, se révèlent d’une grande puissance littéraire.

Après Cap au pire et La Dernière bande, Denis Lavant et Jacques Osinski poursuivent leur compagnonnage autour de l’œuvre de Samuel Beckett. Nous aurions pensé naturellement que ce troisième opus serait une fois encore un seul en scène. Nous avions parié sur un Denis Lavant en « Dépeupleur ». Et voila qu’une bonne surprise une fois encore advient. Après deux titres célèbres, Jacques Osinski choisit quatre textes peu connus : « L’Image », « Un soir », « Au loin, un oiseau » et « Plafond ».

Le projet est immense. Les quatre nouvelles en prose sont chacune une invitation à entrer par des chemins détournés dans le crâne du narrateur beckettien. Quatre textes. Dates éparses. Souvenirs épars. Un style qui évolue mais des thèmes qui reviennent. Et toujours une même volonté : La recherche compulsive du vrai qui ne se constitue que comme un souvenir fugace que l’on cherche à étreindre mais qui ne saura jamais se dire tout à fait ni par les mots, ni par les silences. 

C’est avec mon souffle que je pense

Denis Lavant dans la pénombre (celle de la psyché de Samuel Beckett) restitue chaque mot, chaque inspiration pour lentement nous faire glisser dans le souffle de l’auteur. L’entreprise est grande car il s’agit de ne pas salir la pureté de la langue.  A cette pureté Osinski oppose une mise en espace minimaliste, sans scories de mise en scène ou d’interprétation. Sont restitués à ciel ouvert les oscillations mentales de l’auteur, sa plume brûlante et précise et aussi, l’entendement d’un Denis Lavant irrésistible riche de son intelligence des sentiments.

Les textes sont exigeants. « L’image » en particulier qui est la colonne vertébrale de l’ensemble. Ecrit en français dans les années 50, « L’image » est une longue et unique phrase de dix pages. Sans virgules. Seuls une majuscule et un point final. Beckett écrit en mots ce qu’un narrateur voit avec ses yeux. L’image que le narrateur a sous les yeux est un moment de sa propre vie, il se voit lui même. Citation : je dis je comme je dirais il. Le spectateur devra composer avec ce sens qui se rebelle parfois. Il rencontrera quelques mots anciens tel dextrosum, adverbe qui signifie « dans le sens des aiguilles d’une montre », ou senestro  qui signifie « l’inverse ». Il entendra une référence à Malebranche, philosophe du 17eme siècle qui  se méfiait comme Beckett de l’imagination, cette folle du logis  qui empêche de voir le vrai.

Denis Lavant fait frissonner le texte et la salle 

Pour servir un tel texte qui refuse obstinément le fictionnel, il fallait un interprète solide capable de tout régurgiter sans trop adjoindre à son personnel et délicat discernement. Denis Lavant impressionne de précision ; en même temps il ne gâche rien de notre plaisir du jeu. Ainsi, convoqué à une exigence le spectateur devient l’invité, le cinquième d’une danse à quatre: Samuel Beckett, Denis Lavant, Jacques Osinski et le texte. Et  il aura à démêler la question qui traverse ces textes : qu’est-ce qui fait que, nous les humains, éprouvons le besoin de dire et non de vivre seulement ?

L’image 

Samuel Beckett

Mise en scène Jacque Osinski

avec Denis lavant

Le Lucernaire

du 4 au 23 Janvier 2022

Durée 1 heure

Visuel Affiche

Avec « La réponse des hommes », Tiphaine Raffier nous offre un texte puissant sur l’humanité

Inspiré des Œuvres de Miséricorde, La Réponse des Hommes s’impose comme la pensée d’une époque. Politique, psychologique, philosophique et admirablement littéraire le quatrième opus de la jeune metteuse en scène Tiphaine Raffier tranche dans le vif et innove radicalement. 

Le quatrième spectacle de Tiphaine Raffier a connu une maturation chahutée par la crise du Covid-19. Prévue pour la 74e édition du Festival d’Avignon, sa création avait dû être reportée, en novembre, à La Criée, puis une nouvelle fois décalée, en décembre, au Théâtre du Nord, et finalement empêchée par la fermeture des théâtres. Cette maturation loin du public appartient à l’oeuvre qui  en apparaît puissante. Nous avons découvert la pièce en représentation réservée aux professionnels. Nous avons été percutés par une oeuvre exceptionnelle en cela qu’elle ne se propose pas moins de renverser la table de nos anciennes vision du monde. 

Ce ne peut relever du hasard si le texte de Tiphaine Raffier mise en scène par elle même sera, si la crise sanitaire le permet, présenté au public dans cet endroit, les Ateliers Berthier de l’Odéon où furent créées les pièces de Arne Lygre, par le directeur du lieu Stéphane Braunschweig.  Car les deux auteurs enjambent le vingtième siècle des funestes utopies collectivistes communistes ou nazi pour inventer et/ou raconter un XXIeme siècle préférant l’individu dans ses pluralités et ses équivoques. La scène édifiante dite des cadeaux confirme le lien entre Lygre et Raffier. On se souvient de  la phrase célèbre de Malraux (l’a-t-il vraiment dite?) : Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. Comme un retour à Freud, émerge aujourd’hui un pragmatisme centré sur l’ipséité et la foi.

Mon prochain spectacle parlera de morale mais aussi de bonté 

La pièce de Raffier est fragmentaire; chaque chapitre s’articule à la façon d’une expérience de socio-psychologie. On pense immédiatement à Freud, à la logique paradoxale de Russell et surtout aux travaux de Ruwen Ogien sur la philosophie expérimentale. L’auteure se mêle de saisir les ambiguïtés de nos sociétés en se désaliénant des antiques réponses simplistes et binaires. Là où Lygre laboure les questions nouvelles de l’élasticité des êtres et de leur assignation, de l’interchangeabilité des personnes, Raffier balaye les répétitives et convenues lectures sociales ou ethniques. Plus prés de Freud et définitivement hors de Marx, les personnages de Raffier sont des êtres uniques, ambivalents et attachants. Elle nous plante au cœur des doutes entre morale et éthique, entre le collectif et l’individuel dans des épisodes de singulis. À la façon du Talmud et de ses discussions juridiques, les expériences de chacun ne se généralisent que dans un après-coup où le cas ne fait pas loi forcément.Le cas particulier ne dit rien des principes généraux. La pièce politique construit une leçon enthousiaste et terrifiante à la fois. 

Tiphaine Raffier sonde les dissonances de nos sentiments et de nos pensées; elle ose gratter nos propres incohérences, nos propres peurs de l’incomplétude. Les êtres devenus fragiles devant l’incompréhension du monde qui les entoure assument une confrontation qui veut accoucher d’une morale parfois étrangement a-morale. Chacun cheminerait dans un interminable noviciat.

La pièce est épatante aussi, car servie par une troupe formidable. Charif Andoura, Éric Challier, Teddy Chawa, Pep Garrigues, François Godart, Camille Lucas, Édith Mérieau, Judith Morisseau, Catherine Morlot et Adrien Rouyard dansent en harmonie cette dérangeante chorale psycho-philosophique. Ils invitent le spectateur à se confronter directement à un certain nombre de dilemmes. La pédophilie par exemple se dévoile pleine de toutes ces incertitudes. En filigrane chez Raffier, la foi religieuse nous protège individuellement de l’effondrement face à la logique paradoxale de nos sociétés. 

Merci de laisser l’espace dans un meilleur état que vous l’avez trouvé, clame un des personnages. L’enjeu est là. Établie sur une conception du monde radicalement moderne et convoquant la doctrine judéo-chrétienne de la réparation le monde, la pièce nous donne à penser autrement. Avec en filigrane aussi et avant tout: l’amour entre les hommes.

La réponse des hommes de et mise en scène Tiphaine Raffier Avec : Sharif Andoura, Guy-Loup Boisneau (musicien), Émile Carlioz (musicienne), Éric Challier, Teddy Chawa, Pep Garrigues, François Godart, Clotilde Lacroix (musicienne), Romain Louveau (musicien), Camille Lucas, Édith Mérieau, Judith Morisseau, Catherine Morlot, Adrien Rouyard

Théâtre Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national, en co-réalisation avec l’Odéon – Théâtre de l’Europe
du 6 au 28 janvier 2022

Théâtre National Populaire de Villeurbanne
du 3 au 12 février

Centre dramatique national de Lorient
les 23 et 24 février

La Comédie de Saint-Étienne, Centre dramatique national
du 2 au 4 mars

Théâtre de la Cité, Centre dramatique national de Toulouse, Occitanie
du 9 au 11 mars

Théâtre Olympia, Centre dramatique national de Tours
du 16 au 19 mars

Le Phénix, Scène nationale de Valenciennes
les 24 et 25 mars

Le Préau, Centre dramatique national de Vire, Normandie
le 31 mars

Théâtre du Nord, Centre dramatique national Lille-Tourcoing
du 6 au 9 avril