Platonov de Anton Tchekhov, à La colline, tournée jusqu’à fin avril.

platonov-devos-possedesPlatonov de Anton Tchekhov traduction du russe André Markowicz et Françoise Morvan Collectif Les Possédés création collective dirigée par Rodolphe Dana.

Nous sommes en 1880, Anna Petrovna, la générale,  jeune veuve, invite chaque été un groupe d’amis chez elle en villégiature dans sa maison de campagne.

Parmi eux, Platonov est un garçon qui paraît être joyeux, qui aime la vie; mais en réalité, il est tout le contraire, manipulateur et cynique. Il aime que ses amis s’intéressent à lui, il aime multiplier les aventures, bien qu’il ait une femme, Sacha, qu’il considère un peu comme sa fille.

– Qu’est-ce qu’il y a ? demande un ami au début de la pièce.

– Rien, on s’ennuie… Doucement. Répond Emmanuelle Devos, dans le rôle de la générale.

L’ennui est posé comme le début d’un discours qui se veut libéré et émancipateur, comme une fatalité, comme ce qui nous agace et nous suffit.

– C’était comment la vie ? », lui demande la Générale après plusieurs mois d’absence.

– C’était moche, comme d’habitude. J’ai bu, j’ai mangé, j’ai dormi, j’ai lu des livres à ma femme… C’était moche.  on s’ennuyait comme des rats morts… »

Platonov, cours après tout et rien, se cherche sans rien chercher, s’active selon des codes et conventions de cette bourgeoisie désœuvrée qu’il ne veut remettre en question. Il a cette vision sombre et exaspéré sur les choses, sur la vie. Il promène son cynisme qui lentement le fera sombrer dans le désespoir , et vers la mort, doucement.

D’où viendrait cette dépression, cette si  faible appétence pour la vie? aménagement snob  de la difficulté de vivre?

Et chacun se stigmate de l’ennui, comme un signifiant commun. Contre l’ennui, Tchekhov y dresse le désir, tous les désirs, d’aimer, de détruire, d’être riche, et peu importe que ces élans soient grandioses ou ridicules : s’il y a ici échec de la vie, il flamboie !

Le texte de Platonov a cet modernité de savoir magnifier cet échec de la vie de nos contemporains qui ont, actuel de leurs névroses et/ou de leurs perversions,  remplacé[1]le désir par la jouissance, par les jouissances erratiques. On joue, on rit, on chante, on danse on s’amuse beaucoup cependant que l’on ne construit rien, que l’on n’élabore pas plus. Et Platonov ne trouvera pas l’amour,

Sacha, la femme, de Platonov, résumera le tout : C’était très bien, à part qu’on s’ennuyait, bien sûr. 

Quant à nous, spectateurs, nous n’avons pu trouver du temps à  l ennui tant les interprétation de la troupe Les Possédés et d’Emmanuelle Devos, nous transportent. Et le cirque de la vie est rendu dans une mise en scène qui frise le burlesque sans jamais y céder.

Dans l’après coup, nous irons au Flore nous ennuyer à discuter de la pièce, … bien sûr.

[1] sur ce sujet, L’homme sans gravité, Charles Melman.

Nos serments, de Guy-Patrick Sainderichin et Julie Duclos.

Nos serments, de Guy-Patrick Sainderichin et Julie Duclos, d’après La Maman et la Putain, de Jean Eustache. Mise en scène : Julie Duclos.
nossermentsminiUn jeune homme vit avec une femme et en rencontre une autre, il a aussi son amour d’avant, d’avant sa vie d adulte, du moins d’après l’adolescence, mais a-t-il vraiment quitté l adolescence. Il y a aussi le meilleur ami confident presque privilégié, car le seul confident celui pour lequel notre jeune homme, écrivain,  vit et rend compte est son écriture, son œuvre littéraire. Rien de plus basique et banal que cette situation où un homme  vit avec une femme et tombe amoureux d’une autre. Ils tentent toutefois de vivre cette rencontre dune manière différente plus pacifique, moins hystérique. Sans jalousie.

Et  cette expérience ne produit rien, sauf l’expérience elle même, celle dont la pièce rend compte, celle dont le livre de cet écrivain rendra compte.

Le tribut au film La Maman et la Putain est payé par des séquences filmées projetées sur un écran; très bien filmées, à la façon des années 70, elles utilisent le travelling sur des personnages en mouvements, qui marchent qui courent. Et le désenchantement est le même, à quarante ans d’écart. Et ça parle, ça discute çà dialogue sans vraiment élaborer. Ça raconte. Une journaliste pose des questions sur le déroulé des événements, sans affect, sans après coup.

Et l’engagement-désengagement amoureux conduit à l’ennui, à ce que les personnages discutent plus qu’ils ne vivent. L’écrivain aura un enfant, ne le reconnaîtra pas. photo

On pense à ces analysants mélancoliques plus dans le verbe que dans l action, plus dans le récit que dans la vivance. Nos personnages sont ils seulement mélancoliques? Ou peut être victimes d’une légèreté infantile adossée à cette euphorie post-68 de ce film  réinterprété et réactualisé par Julie Duclos, sans aucun jugement.

Sinon, une direction d’acteurs aboutie et un rythme soutenant. Et un jeu des acteurs savoureux entre actuel  et distanciation, entre  mauvaise foi et nonchalance, bravo à  Maella Gentil, David Houri, Yahan Lopez,  Magadlena malina et Alix Riemer. Et à Vanessa Larré parfaite, (comme d’habitude!) dans la scène filmée de l’interview du journaliste.