
Arrête, je vois la parole qui circule dans tes yeux – Les Déchargeurs : un spectacle atypique, sympathique et pressé, où le spectateur prend conscience que le langage, notre première richesse, est en danger
Sur le sol de la scène, des dalles, un faux plancher comme on en voit dans les salles informatiques. Une voix off raconte l’apparition du langage… Moi, j’aime bien les gens qui bafouillent…
Elles sont deux, sur scène, dans des justaucorps blancs dont ne sortent que leurs têtes et leurs mains. Elles vont parler, sur un rythme enlevé. Elles posent des situations, et jouent avec. Elles jouent avec les accents et les niveaux de langage, avec la novlangue et ses mots toujours positifs, avec les jargons professionnels, les saynètes s’enchaînent, toujours avec un humour distancié. Voici un conducteur qui prend au pied de la lettre des expressions de la vie courante sortant d’un GPS, voilà des mots flatteurs au masculin qui, mis au féminin, signifient pute, des mots qui s’emmêlent, se transforment, des mots qui sont les instruments du pouvoir du simple fait qu’on les comprend.
Arrête, je vois la parole qui circule dans tes yeux est un spectacle différent. S’il crée des situations, il ne raconte pas vraiment d’histoire. Il joue avec la langue, avec les corps de Capucine Baroni et de Théodora Marcadé plus qu’il ne joue avec les mots. Il n’est pas une opinion, sur laquelle on réfléchit, par rapport à laquelle on prend position.
Je l’ai reçu comme une prise de conscience. La parole, le langage, sont ce qui fait notre humanité, depuis que nous nous sommes mis debout. Ils sont vivants, ils sont riches… mais ils sont en danger. L’Intelligence Artificielle, le Deep Learning sont en train de nous les voler, quand ce sera le cas, que restera-t-il de notre humanité.
Vous n’êtes pas convaincu ? intéressez-vous au Test de Turing, appelez votre opérateur téléphonique préféré. Vous ne savez pas dire si vous parlez à une machine ou à un être humain ? pourtant vous parlez à une vraie personne, qui n’a pas le droit de sortir du dialogue guidé par la machine. Nvidia avait annoncé qu’en 2017 un ordinateur réussirait le test, c’est le cas, pas parce que les ordinateurs communiquent comme des humains, mais parce que les humains communiquent comme des machines.
La parole, le langage, sont notre richesse. Capucine Baroni, Théodora Marcadé et Claire Lapeyre Mazérat nous offrent ce spectacle aussi sympathique que pressé, atypique et poétique pour que nous en prenions conscience.
Aux Déchargeurs jusqu’au 22/03/22
Dimanche, lundi, mardi : 21h15
Texte : Capucine Baroni, Théodora Marcadé, Claire Lapeyre Mazérat
Avec : Capucine Baroni, Théodora Marcadé
Mise en scène : Claire Lapeyre Mazérat
Visuel : Nelly Maurel